On l’appelait « Marie à puces » – Partie 2/2
A lire ou relire : On l’appelait « Marie à puces » – Partie 1/2 : Augustine
1906 – Un héritage providentiel !
Augustine, dite « Marie à puces », avait cinquante-deux ans.
Le dimanche 29 avril 1906 à Armentières, mourut son oncle Jean Facon, âgé de quatre-vingts ans. Son épouse, Elise Caboche décéda la semaine suivante, le 7 mai.
Ils n’avaient pas d’enfants.
Jean Facon laissait un patrimoine important, notamment huit maisons et un cabaret à Armentières.
Augustine faisait partie des héritiers !
Elle allait hériter de son oncle selon le règles de succession en vigueur à l’époque.
Le 10 mai 1906, le commissaire de police fit venir Augustine au commissariat. Le journal « Le Grand Echo du Nord de la France » dans son édition du 14 mai raconta cet événement :
Ce qu’elle signa ce jour là au commissariat fut notifié ensuite dans l’acte de liquidation du 30 octobre 1906.
Me Desmazières, notaire à Armentières, fut chargé de régler la succession.
Les héritiers étant nombreux, la part d’Augustine n’était au final que de 3021,32 Francs sur les 30791,86 Francs* issus du patrimoine.
* En 1906 le salaire horaire moyen d’un manœuvre est d’environ 0,34 Francs
Répartition de l’héritage dans la déclaration de succession du 29 octobre 1906
Le notaire reçut Augustine et lui expliqua l’aubaine de cet héritage pour elle.
Mais elle le refusa. « Que voulez-vous que j’en fasse ! » disait-elle. Quelle importance une telle somme pouvait-elle avoir pour elle ? Un sou, oui, elle en savait la valeur, lorsque son estomac se déchirait sous les crampes de la faim ! Mais tout cet argent ! « A quoi cela pouvait-il servir ? » disait-elle encore.
Inconsciente Augustine ! Ou tout simplement rancunière…
Néanmoins, le notaire continua à protéger ses intérêts. On pouvait lire dans « Le Grand Echo du Nord de la France » du 8 octobre 1907 :
Le notaire qui soigne les intérêts de Marie-à-Puces a envoyé trois beaux billets de cent francs pour la pauvresse, à M. Vivier des Vallons, commissaire central de Lille. Ce dernier a chargé l’inspecteur de police Charlet de gérer cet avoir et, comme voici venu l’hiver tueur de pauvres gens, M. Charlet a trouvé avec raison qu’il serait bon que Marie fut mieux garantie contre les intempéries que par les loques qui lui servent ordinairement de robe…
On a donc fait venir la vieille maniaque au commissariat central ; on l’a débarbouillée, et le brigadier Mareels a conduit Marie à Puces chez un marchand de nouveautés , où on l’a rhabillée des pieds à la tête, et d’une façon confortable… On a aussi loué, rue des Robleds une petite chambre où Marie pourra aller se reposer quand elle le voudra. Mais, sans doute préférera-t-elle continuer à dormir une heure par ci par là, et ses vêtements chauds propres et neufs, seront vite réduits en haillons sous l’action de la pluie et de la boue…
Ce qui reste des trois cents francs confiés à M. Charlet sera distribué, de temps à autre, par petites sommes, à la « loqueteuse », qui pourra ainsi se payer des pâtisseries dont elle raffole. Toutes les menues charités que lui font les passants apitoyés passent en friandises : elle en mange parfois jusqu’à trois ou quatre francs. Que sera-ce maintenant que la voilà riche ?
Six ans plus tard. Augustine avait cinquante-neuf ans.
Elle fut à nouveau arrêtée le 17 mars 1913 pour mendicité, mise en prison et passa en jugement le 21. Multi récidiviste, la condamnation fut plus lourde : deux mois d’emprisonnement.
Lille – Novembre 1914
Depuis le 13 octobre qui vit la fin du siège de Lille par l’armée allemande, la ville était occupée. Mais elle était aussi défigurée. Les bombardements qui avaient précédé la prise de la ville et les incendies provoqués par les grenades incendiaires avaient détruit des quartiers entiers et défiguré d’autres.
Brisée par des douleurs aussi bien morales que physiques, usée par la dégradation et par les intempéries, squelettique, Augustine dite « Marie à puces », fut retrouvée morte le dimanche 8 novembre 1914, Boulevard de la Liberté à Lille. Elle avait soixante-et-un ans.
Dans l’édition du 8 mai 1915 (six mois après son décès1) le journal « Bulletin des réfugiés du Nord » publia un article sur la mort de « Marie à puces ».
Emile Lante2, poète, écrivit dans « Le Grand Echo du Nord de la France » une sorte d’oraison funèbre :
Quand on connait l’histoire de ta vie, Augustine, on ne te trouve plus aussi repoussante.
Au reste, tu peux inspirer des idées plus hautes que des hoquets de dégoût.
Ta vie est un enseignement. Tu montres à ceux qui seraient tentés de se laisser aller au gré de leurs désirs et de leurs affections, où peut mener la sentimentalité sans règle qui aveugla aussi Musset, Verlaine et tant d’autres. Tu prouves la nécessité de l’empire de la volonté sur les passions et la résignation devant la fatalité mauvaise.
Tu es un conseil aussi. Le luxe et la joie des fiévreux quartiers où tu erres semblent y faire croire que la Misère n’existe pas : ta présence en impose le souvenir et réveille ainsi, au cœur des hommes, le sens sacré de la Pitié — qui s’y endort trop facilement….
1 Avec l’occupation de Lille disparaît la presse d’avant-guerre. Seuls les Allemands peuvent fournir des informations. En novembre 1914, ils lancent « le gazette des Ardennes », imprimée à Charleville Mézières. Mais les gens du Nord méprisent ce journal qu’ils surnomment le « journal des minteux » (le journal des menteurs).
2 Emile Lante, poète engagé du début du XXe siècle (Source : Lille d’Antan)
Bibliographie et sources
Lille et les Lillois à la « Belle Epoque » de Carlos Bocquet
Site Gallica de la presse ancienne
Ouvrage : « Contexte France » de Thierry Sabot aux éditions Thisa : www.histoire-genealogie.com
Augustine a eu une bien triste existence. À travers tes articles, tu l’as remise dans la lumière et rendu un bel hommage.