Les souvenirs intacts d’une communion solennelle d’autrefois
UNE FÊTE RELIGIEUSE : LA COMMUNION SOLENNELLE
Un peu d’histoire
Le Concile de Latran IV (1215) avait décidé que la première communion des enfants aurait lieu à « l’âge de discrétion », 12 ans pour les filles et 14 ans pour les garçons.
En 1910, le pape Pie X permet aux enfants de communier dès « l’âge de raison », vers 7 ans. Une communion discrète qui prend le nom de communion privée ou première communion privée. La communion à la fin du catéchisme devient la « communion solennelle » ou « première communion solennelle ». À partir du XIXe siècle la communion solennelle est considérée comme un rite de passage à la fin du catéchisme. En plus de la fête religieuse, elle devient une fête familiale et sociale autour de l’enfant : premier costume des garçons et robe blanche des filles. Images pieuses, missels, chapelets, dizainiers, médailles, croix, photos, menus rappellent l’importance de cette fête durant les deux siècles derniers.
Voici donc comment mon père raconte dans ses mémoires sa Première Communion Solennelle en 1938.
Mais d’abord, pour bien situer l’ensemble des personnes citées ici, voici un petit arbre généalogique (mon père Denis est en bas à droite). Edouard, Louise et Jeanne Lecat sont frères et soeurs, enfants du couple Edouard Lecat (1837-1900) et Maria Liebert (1843-1914).
Le dimanche 8 mai 1938 est le jour de ma communion.
Pour cette occasion, mes parents m’achètent chez « Marchand Frères » à Lille un beau costume gris clair, avec le col et les parements en satin et un galon qui court le long des jambes du pantalon. Pour la première fois, je vais mettre un « long pantalon ».
A l’achat d’un costume de communion, la maison « Marchand » offre la montre. Il s’agit d’une montre gousset. On peut la porter dans une poche de gilet ou dans la petite poche de la veste. Elle est attachée avec une petite chaîne. Papa dit que ce genre de montre est vendu au poids par les Japonais. Bien que je ne l’utilise que le dimanche, cette « petite merveille » n’a en effet fonctionné que quelques mois.
On m’achète aussi une chemise blanche et une cravate grise comme le costume. Ma cousine Fernande (Dubuisson) m’offre mon brassard. On l’achète rue Neuve dans un magasin chic. Il est splendide : un calice et une hostie sont brodés dessus. Stella (Baillon) me prête le missel, c’est celui de son fils Marcel. Le chapelet est celui de ma mère. Ma grand-mère Jeanne m’offre la pochette, le mouchoir qui sert à tenir le missel et les gants blancs.
Une semaine avant, j’arrête l’école : c’est la semaine de « retraite ».
Toutes mes journées sont alors passées au patronage. Nous faisons beaucoup de prières, répétons la cérémonie dans l’église, mais nous pouvons jouer quand même un peu. Nous assistons aussi à des séances de cinéma, des films de catéchisme évidemment.
La confession
Le samedi après-midi, veille de la cérémonie, tous les retraités, candidats à la première communion, vont à l’église pour se confesser. On peut choisir le prêtre. Moi je choisis l’abbé Wallaert. Il est sympa. Il nous écoute lui confier nos péchés, et il ne pose pas de questions. Les pénitences sont assez simples, par exemple dix « Je vous salue Marie » et la promesse d’essayer de ne plus recommencer. En revanche, certains prêtres vous donnent comme pénitence tout un chapelet et vous posent un tas de questions embarrassantes. Ils ont l’air de vous soupçonner d’omissions volontaires.
Je dis vite mes dix « Je vous salue Marie » et hop! Je sors en vitesse de l’église pour aller avec ma mère choisir mon cierge.
L’achat du cierge
Pour cela nous nous rendons au bout de la rue Stephenson, chez Maurice Gilleron, le sacristain de la paroisse Saint-Louis. Des cierges, il y en a de tous les prix, du plus petit ridicule au très gros cierge entièrement décoré et que l’on appelle « Cierge Pascal ». Il est si lourd que ceux qui en bénéficient ont bien du mal à le porter d’une seule main. Mais pour ceux qui veulent jeter de la poudre aux yeux de leurs voisins, cela fait bien : « Eux, ils peuvent, ils ont les moyens » et ainsi ils espèrent être dans « les petits papiers » du Curé. Les cierges ordinaires, qu’ils soient petits, grands ou gros seront ensuite envoyés à la refonte pour en faire des cierges pour l’église. Les cierges Pascal, quant à eux, sont gardés et seront utilisés pendant la période de Pâques.
J’ai eu un cierge moyen, à un prix raisonnable. Ma mère ne veut pas dépenser inutilement son argent et surtout elle a horreur des gens qui « veulent faire des pets plus haut que leur cul ». Tous les copains de ma rue ont le même cierge que moi.
Ensuite, je me rends chez René le coiffeur pour faire une « indéfrisable ». Il est d’usage pour les garçons d’être frisés ou tout au moins d’avoir des « crans » le jour de sa communion.
Le dimanche 8 Mai 1938, nous nous levons tôt.
Depuis 1935, mes parents ont repris un café au 163 de la rue du Long Pot à Fives.
Mais aujourd’hui le café est fermé à la clientèle. C’est moi qui ai fait la petite affiche « FERME » sur une feuille d’un de mes cahiers de brouillon. Nous la mettons à la porte d’entrée, épinglée au rideau. Les tables du café sont déplacées et rangées pour former une longue et grande table car toute la famille est invitée au repas.
Ma mère, ma grand-mère et moi allons à la messe de sept heures. C’est une messe basse, c’est la messe de communion. Ensuite nous rentrons déjeuner, du pain gâteau avec du chocolat. Je dois me déshabiller pour ne pas salir mon beau costume.
L’heure de la grand-messe de communion.
La messe à lieu à dix heures en l’église Saint-Louis de Fives.
Avant de partir, je passe à nouveau chez René le coiffeur pour qu’il me refasse des « crans » avec dessus de la « gomina » pour bien les fixer.
Quelques invités sont déjà arrivés : Mon cousin Alfred (Baillon), sa femme Marie (Vantom) et leur fille Christiane. Ils sont très catholiques pratiquants et ils nous accompagnent donc à la messe.
Les communiants sont placés dans le chœur de l’église. Face à l’autel, les garçons sont à droite et les filles à gauche. Les communiants des écoles chrétiennes sont placés en avant et dans l’ordre des places obtenues après l’examen final du catéchisme. Les communiants fréquentant l’école laïque sont également placés suivant la place obtenue à l’examen du catéchisme, mais derrière ceux des écoles catholiques.
La messe est longue.
Certains se font réprimander car ils passent leur temps à regarder leur nouvelle montre, d’autres feuillettent leur nouveau missel et montrent à leur voisin les belles images. Peu se concentrent et suivent la messe. La chorale est au complet, mademoiselle Marie Defrance à la baguette. Comme toujours, c’est mademoiselle Henriette Vermeulen qui tient l’harmonium.
Tous les fidèles sont habillés « en dimanche ». Les personnes invitées ont très souvent acheté de nouveaux habits pour la circonstance.
Trois prêtres et une dizaine d’enfants de chœur célèbrent la messe. Elle n’en finit pas…
L’abbé Cousin1 monte en chaire. Il parle avec une certaine douceur. Mais soudain il se met en colère, il devient rouge et son ton monte. Brusquement, il reprend son calme et termine en faisant le signe de croix. Toute l’assemblée en fait autant.
Beaucoup de fidèles participent à la communion, ils défilent vers le banc de communion par l’allée centrale et retournent à leur place par les allées de côté. La communion s’éternise, puis c’est l’action de grâce.
Après cela, les choses s’accélèrent. Nous, les communiants, quittons l’église en dernier. Nous défilons deux par deux. A la sortie, les familles attendent. Cela fait beaucoup de monde sur le parvis ! Les cloches sonnent à toute volée. Il fait beau, le soleil brille, on ne reconnaît plus les voisins du quartier. Ils sont différents dans leur beau costume.
Papa est resté à la maison.
Il n’aime pas aller à l’église, chut !. Il reste à la maison pour recevoir les premiers invités. Madame Vantom (Lucienne), la mère de Marie, est venue s’occuper du repas et servir à table. Un grand drap blanc fait office de nappe. En plus des invités habituels, il y a Germaine (Lecat), son mari Georges (Dubuisson), leur fille Fernande et Yvette la fille de Fernande.
Toute la famille sort pour faire des photos et c’est Fernande qui s’en charge. Tous les habitants du quartier sont sur le pas de leur porte, ils ont un sourire sur les lèvres. Ils admirent le communiant, fier dans son beau costume, fier de porter pour la première fois un pantalon long.
Le jour de la première communion, dans de nombreuses familles, il est d’usage de laisser le communiant boire un petit verre de vin et fumer une cigarette. Chez moi, on ne respecte heureusement pas cet usage.
Les Vêpres
Vers seize heures, ma mère, ma grand- mère et moi allons également assister aux Vêpres. C’est une cérémonie qui dure une bonne heure. Les communiants défilent dans l’église en tenant leur cierge de la main droite et le missel de la main gauche. Devant les fonds baptismaux, nous renouvelons alors nos vœux du baptême.
Cette cérémonie ayant lieu après un repas bien arrosé, certains s’endorment. Aux chants d’église se mêlent les ronflements des dormeurs. Cette situation en fait sourire beaucoup.
C’est la fête à la maison !
Au retour des vêpres, je reçois alors l’ordre d’enlever mon beau costume. Je ne le porterai qu’une seule autre fois. Les adultes un peu grisés par les petits verres de vin se mettent à chanter. On fait des farandoles et chacun gratifie l’assemblée de sa plus belle chanson. On applaudit, on félicite, on chante en chœur « Quand un chanteur a bien chanté, il faut boire, il faut boire à sa santé ». Et on boit, on boit à la santé du communiant, qui, lui, ne boit pas, mais est au centre de la fête.
Au dessert, mon père et ma mère se tiennent debout derrière moi, ils étendent au-dessus de ma tête une serviette et toute l’assemblée chante :
le « Vivat Flamand » :
« Vivat vivat semper
Semper in aeternum
Qu’il vive, qu’il vive,
Qu’il vive à jamais
Répétons sans cesse, sans cesse,
Qu’il vive à jamais,
En santé, en paix.
Ce sont nos souhaits.
Vivat vivat semper
Semper in aeternum
(crié) Qu’il vive ! »
Une tradition dans le Nord
A la fin d’un repas, si les convives souhaitent honorer une personne, ils entonnent un vieux chant aux paroles mi françaises, mi latines : « le Vivat Flamand« .
Cette invocation se chante debout, gravement, presque religieusement. La personne honorée est assise tandis que ses voisins tendent une serviette au dessus de sa tête et versent de la bière ou du champagne.
Les paroles sont probablement inspirées du Vivat composé par l’abbé Nicolas Rose pour le couronnement de Napoléon, en 1804.
Ma cousine Christiane chante toujours la même chanson à la mode (Lire L’importance du dimanche – années 1930) : « C’est un mauvais garçon, qui a des façons, pas très catholiques, on a peur de lui quand on le rencontre la nuit… ».
Marcel, mon cousin, chante une nouvelle chanson de Charles Trénet, « Boum, quand notre cœur fait boum, tout avec lui dit boum, et c’est l’amour qui s’éveille. » Moi, pour la circonstance, ma mère m’a aidé à apprendre aussi une nouvelle chanson : « Bohémienne aux grands yeux noirs, tes cheveux couleur du soir et l’éclat de ta peau brune sont plus beaux qu’un clair de lune » (Tino Rossi 1936 à écouter ICI)
Quant aux anciens de la famille, ils chantent toujours le même répertoire, les nouvelles chansons modernes ne les intéressent pas.
La fête se termine alors très tard après minuit, par la chanson habituelle, « Halte là, halte là, les montagnards sont là ». Et tous les invités retournent finalement chez eux à pied. Emile, Stella et Marcel n’ont pas loin à aller puisqu’ils habitent dans la cour Burque (Lire 1927 – Fives – Cour Burque). Quant à Alfred, Marie et Christiane, ils retournent rue Faidherbe à Hellemmes. L’oncle Victor, la tante Louise, Raymonde et Andrée rejoignent la rue Vantroyen dans le quartier Saint-Maurice. Ils ont pour la plupart jusqu’à quarante-cinq minutes de marche pour rentrer chez eux.
Le lendemain : les « visites »
Le lendemain, le 9 mai, papa, maman et moi allons faire ce qu’on appelle les « visites ». Cela consiste à rendre visite notamment aux grands-parents, à l’école, au curé de la Paroisse. A chacune de nos visites, nous donnons une boîte de dragées et une image de communion avec imprimé au dos de chacune d’elle : « Souvenir de ma communion solennelle, faite en l’église St Louis à Fives, le 8 mai 1938. » Lors de notre visite au presbytère, je reçois une grande image. Elle représente Jésus avec les apôtres. En fait, c’est comme un diplôme, il y est indiqué que j’ai été baptisé, que j’ai fait ma communion et que j’ai reçu la confirmation du Cardinal Verdier, Evêque de Lille.
C’est aussi ce jour-là que je rencontre pour la première fois (et la dernière), mon grand-père Eugène, à la porte de son usine (Lire aussi L’alcool fait des ravages chez grand-père Eugène).
Après la communion
Une fois la communion passée, beaucoup de mes camarades ne vont plus à la messe. Néanmoins, mes copains de la « bande des sept » (à lire prochainement sur ce blog : « La bande des sept ») continuent à fréquenter assidûment le Patronage.
Une exception cependant, Michel Desprez et Lucien Derom vont le plus souvent se promener à Lille au lieu d’aller au patronage. Leurs parents l’ignorent. Mais un jour, l’abbé Cousin, inquiet de l’absence des deux énergumènes, se rend chez les parents de Michel. Le pot aux roses est découvert. Des mesures sont prises, les deux garnements seront munis d’un carnet de présence qu’ils devront faire signer par l’abbé et par les parents. Ce système fonctionne quelques semaines, jusqu’au jour où les deux fugueurs arrivent à imiter la signature de l’abbé.
Cette forfaiture ne dure pas non plus très longtemps. Forcément, l’abbé ne les voyant pas au patronage retourne faire une petite visite chez les parents. Lucien s’en tire assez bien. Sa mère est veuve, l’absence de père lui épargne le coup de pied au …! Tandis que pour Michel, ce n’est pas du tout la même chose. Le papa Desprez n’est pas commode, il a des mains comme des louches et on peut voir leur empreinte sur les joues de Michel. Son père le punit en le faisant travailler au jardin au lieu d’aller jouer dans la rue.
C’est dommage, car voici les forains qui arrivent, ils montent leur manège dans notre quartier, c’est la ducasse !
A suivre … LA DUCASSE DANS MON QUARTIER
1Né le 28 janvier 1907 à Lille, l’Abbé Maurice Cousin fut l’une des quatre-vingt-six victimes civiles qui périrent lors du massacre d’Ascq (aujourd’hui Villeneuve-Ascq), dans la nuit du 1er au 2 avril 1944, à la suite d’un déraillement d’un train militaire allemand de la 12e Panzerdivision SS Hitlerjugend provoqué par un sabotage de la voie. A lire : Figure illustre de notre école
Merci Olivier pour cet excellent article qui se déroule dans le quartier de Fives que je connais très bien pour y avoir vécu quelques années .
J’ai beaucoup apprécié votre histoire de la communion. J’ai hâte d’en découvrir plus.
Bravo et félicitations pour ces récits.
Merci beaucoup
Bravo pour cet article très bien présenté et documenté. Cela me rappelle des « bons » souvenirs de ma propre communion. Surtout la période de retraite ! Merci.