Une Affaire d’Infanticide à Lille en 1888 – Episode 2
A la fin de l’épisode précédent, le corps de la petite fille était emmené à la faculté de médecine de Lille afin qu’une autopsie soit réalisée. Une enquête était également ouverte pour découvrir l’auteur de cet abominable infanticide. Lire l’épisode précédent
L’autopsie
Le mercredi 20 juin 1888, soit le lendemain de la découverte du corps, le Docteur Castiaux procéda donc à l’autopsie, en présence de nombreux élèves de la faculté.
Voici donc ses conclusions :
1° La petite fille que nous avons examinée n’est pas morte par submersion
AD du Nord – 2 U 1 – 568
2° Elle porte au cou des traces de strangulation exercée à l’aide de la main
3° La mort a été très rapide sans même que l’asphyxie ait eu le temps de se produire, ce qui est assez fréquent dans le cas de pression exercée sur le devant du cou (action réflexe courant causant immédiatement une syncope mortelle)
4° L’enfant porte sur le côté droit du cou une plaie régulière exactement semblable à celles qui résultent d’un coup de couteau. Il nous semble fort difficile sinon impossible de lui attribuer une autre origine. En tout cas, cette plaie repose sur une lésion profonde faite pendant la vie sans qu’il y ait place pour le moindre doute.
Le même jour, le dossier d’infanticide fut transmis au juge d’instruction Camille De Brix qui, dès le 21, fit émettre des avis de recherches dans tout le pays.
Le 23 juin au matin, après consultation de la déposition de François Wambre le jour de la découverte du corps, le juge ordonna à ce dernier de se rendre auprès du docteur Castiaux avec ses outils afin que celui-ci puisse vérifier si la blessure au cou de l’enfant avait pu être provoquée par la fourche ou la faux de François Wambre.
Le médecin examina les outils puis adressa ce billet au juge :
Monsieur de Brix
Je viens de voir le Sr Wambre et ses instruments.
La plaie au cou n’a pu être faite par les instruments.
Du reste, mes prévisions se réalisent. La plaie a été faite pendant la vie ; c’est un coup de couteau.
Recevez l’assurance de ma considération la plus distinguée.
Signé Castiaux
Puis le juge reçut dans l’après-midi la déposition de François Wambre :
DEPOSITION DE TEMOIN
L’an mil huit cent quatre-vingt huit, le 23 juin à 4 heures devant nous Camille De Brix Juge d’instruction de l’arrondissement de Lille, assisté de Plancq qui a prêté serment commis-greffier, a comparu en notre cabinet au Palais de Justice, le témoin ci-après cité pour être entendu dans la procédure en charge de X
Inculpé d’assassinat
Lequel, après avoir représenté sa citation et prêté serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, enquis de ses noms, prénoms, âge, état ou demeure, s’il est domestique, parent ou allié de l’inculpé, a déposé hors de sa présence ainsi qu’il suit
Je me nomme Wambre françois, âgé de 59 ans, cultivateur, dt à Santes.
Mardi dernier dix neuf juin courant vers onze heures du matin, j’étais occupé à enlever les herbes qui venaient d’être fauchées sur la berge de la rigole de dessèchement, derrière les fortifications de la citadelle à Lille, tout près de la porte du petit Paradis.
Avec ma fourche j’enlevai ces herbes qui poussent dans la rigole, lorsque j’ai aperçu au milieu de cette rigole, quelque chose que j’ai pris tout d’abord pour un chien crevé et je n’en étais pas surpris car cela nous arrive fréquemment, mais en écartant les herbes avec ma fourche, j’ai aperçu au milieu de l’eau et retenu à la surface par ces herbes montantes, le cadavre d’une petite fille, entièrement nue et qui m’a paru être âgée de quelques mois.
Je l’ai déposé sur la berge après l’avoir recouvert d’herbes et j’ai été aussitôt prévenir le poste de l’octroi de ma découverte.
Monsieur le docteur Halez qui passait par là un instant après, a visité l’enfant et a dit qu’il pouvait avoir de huit à dix mois. Ce petit cadavre portait au cou une blessure d’où le sang coulait et j’avais pensé un moment que c’était moi qui avais fait cette blessure avec ma fourche, quand j’ai soulevé les herbes du milieu de la rigole.
Suivant votre désir j’ai été voir ce matin Mr le docteur Castiaux médecin légiste et je lui ai donné à examiner ma fourche et ma faux.
J’étais depuis sept heures du matin à cinquante mètres de distance environ de cet endroit où je suis arrivé vers onze heures. Je n’ai vu roder personne de suspect et je n’ai rien vu jeter dans la rigole, cependant étant occupé à mon travail, j’aurais pu ne pas m’en apercevoir.
Lecture faite persiste et nous signons avec le greffier, le témoin ne sachant le faire.
24 juin : Coup de théâtre !
Le 24 juin, une femme très agitée, accompagnée d’un agent de police, se présenta à la morgue de la faculté de médecine. Elle demanda à voir le corps de l’enfant.
Le Docteur Castiaux lui présenta alors une photographie de la petite fille qu’il avait prise juste avant l’autopsie.
La jeune femme poussa alors un cri d’effroi et s’évanouit.
Une fois revenue à elle, elle déclara dans un sanglot : « Cet enfant est ma fille Madeleine ».
L’agent la conduisit aussitôt au commissariat de police où le commissaire Charles Six enregistra alors sa déposition.
L’an mil huit cent quatre-vingt-huit le vingt-quatre juin
Nous Six Charles Jh Commissaire de police de la ville de Lille, plus spécialement chargé de 1er arrondissement, officier de police judiciaire, auxiliaire de M. le Procureur de la République,
Avons entendu la Née Weimersch Joséphine, épouse Soetens Victor, âgée de 22 ans, ménagère, domiciliée à Lille rue sans Pavé N° 21, laquelle nous a fait la déclaration suivante
Mon mari Soetens Victor est parti de la maison dimanche dernier 17 ct vers 10 heures du soir, emmenant avec lui notre petite fille Madeleine, âgée de 15 mois, pour la placer en nourrice, à Courtrai (B.) chez sa tante, disait-il, laquelle m’était complètement inconnue.
Il est rentré seul vers minuit ½ en disant que sa tante avait accepté l’enfant mais qu’il avait dû lui signer un billet d’abandon et que nous ne la reverrions plus.
Je luis fis des reproches d’avoir signé ce billet et lui répondis que je n’acceptais pas ces conditions, ne voulant pas abandonner mon enfant.
Après une discussion assez vive, il me fit croire que sa tante devait nous écrire à ce sujet, et ne recevant pas de réponse, il fut convenu qu’aujourd’hui dimanche 24 juin, il serait allé chercher l’enfant à Courtrai.
Il partit ce matin vers 8 heures après avoir vendu 4 paires de fournitures de souliers ne lui appartenant pas, afin de lui permettre de prendre le chemin de fer, me disant : « puisque tu préfères ta fille que moi, tu ne me reverras plus, tant pis pour toi si je suis pris en Belgique ». Prise subitement de tristes soupçons, je me suis rendis chez ses parents pour leur demander si réellement ils avaient une sœur ou parente à Courtrai (B.). Sur leur réponse négative et parmi les renseignements que j’ai recueillis dans mon voisinage, j’ai de suite supposé que l’enfant trouvé il y a quelques jours derrière la citadelle pouvait être le mien. Je me suis rendu aussitôt avec un agent chez Mr le docteur Castiaux qui m’a présenté la photographie de cette petite fille que j’ai très bien reconnu pour être la mienne. C’est donc mon mari qui l’a tuée dimanche soir pendant que je le croyais parti à Courtrai.
Ma petite était vêtue d’une petite robe en laine à carreaux noirs et blancs, chaussée de bottines à lacets en drap noir avec bouts vernis. Sa tête était recouverte d’un petit châle en laine noire. Ses cheveux sont blonds. Elle n’était pas du tout aimée de son père et en avait toujours peur.
Pendant toute la semaine qui vient de s’écouler, il a toujours été d’une humeur très gaie et a chanté en différentes reprises. Rien au monde ne m’aurait fait supposer qu’il avait assassiné sa fille
Le juge d’instruction, Camille De Brix, émit alors le jour même un Mandat d’Arrêt contre Victor Soetens, inculpé d’infanticide. De même, des télégrammes avec son signalement furent envoyés dans toutes les gendarmeries et commissariats de police de la région, aussi à Paris, ainsi qu’en Belgique.
Victor Soetens est âgé de dix-neuf ans, il mesure 1m70.
Il a les cheveux et sourcils châtains, le front ordinaire, le nez grand et gros, les yeux bruns avec une tâche grise dans l’œil droit. Sa bouche est moyenne, son menton rond, le visage maigre et le teint pâle. Il porte une barbe naissante.
Il est par ailleurs vêtu d’une jaquette et d’un gilet gris, et d’un pantalon en drap noir. Il porte des souliers en toile noircie avec bout en cuir piqué. Il porte une cravate marron très large.
Enfin, il est coiffé d’un chapeau rond en feutre noir.
A suivre… ICI
1 Le dossier aux archives du Nord contient la photographie de la petite fille. Par respect pour sa mémoire, j’ai décidé de ne pas la publier telle quelle sans l’avoir préalablement floutée.
ahhh, on reste sur notre faim !!!! Un triste feuilleton mais on a hâte de savoir la suite et s’ils arrivent à retrouver ce monstre.