Mes parents – Le 1er et 110e RI – Le tramway V – Ma grand-mère
Gustave, mon Père fait son service militaire au 1er régiment d’Infanterie basé à Cambrai du 13 novembre 1925 au 29 octobre 1926.
Il est caporal le 15 mars 1926 et sergent le 21 août. Il est sous-officier comme il aime le dire, et “fier de ses galons”.
Mes parents se marient le samedi 4 décembre 1926. Ils se connaissent depuis l’âge de seize ans (photographie ci-dessus).
En 1927, la vie est difficile pour les ouvriers.
Il n’y a pas beaucoup de travail. Le chômage sévit et il n’y a pas d’indemnisations pour les chômeurs. Les ASSEDIC n’existent pas. La mairie distribue de temps en temps des bons d’achats. Par exemple, ils obtiennent un bon pour cinquante kilos de charbon, un bon pour un pain, un autre pour cinq kilos de pommes de terre. Beaucoup ne veulent pas avoir l’air de mendier et n’osent pas utiliser les bons d’achats chez les commerçants. Et la façon de distribuer ces bons d’achats est humiliante : les chômeurs doivent les retirer au bureau de bienfaisance. Les pauvres fréquentent habituellement ce bureau. Beaucoup de ménagères ont honte de payer leurs achats avec ces bons. Certains commerçants se plaignent des retards dans les remboursements. En plus, il faut se déplacer et souvent attendre de longs moments au guichet.
Pour ne pas être au chômage, et compte tenu du grade qu’il a obtenu, mon père décide de rengager pour deux ans.
Le 4 mai 1928, il entre au 110e régiment d’infanterie basé à Boulogne-sur-Mer.
Ma mère et moi vivons quelques temps à Boulogne. Mon Père est responsable du foyer, il a beaucoup de moments libres. Très souvent, il vient passer l’après-midi sur la plage avec nous. Le midi, il nous envoie, par son ordonnance, un repas complet. C’est le paradis, mais ma mère ne s’habitue pas loin de la famille. Elle revient à Lille et laisse seul son mari à Boulogne-sur-Mer.
Mon Père vit mal cette séparation. Pourtant, la vie militaire lui plaît beaucoup.
Finalement, il est réformé temporaire numéro deux le 26 juin 1828.
Motif : “Otite moyenne chronique suppurée gauche avec large perforation inférieure. Ecoulement abondant“. Il se voit réformé définitivement le 3 juin 1929.
C’est une bonne chose car la guerre du Rif au Maroc n’est pas terminée, elle a débuté le 16 avril 1925, par la rébellion d’Abdelkrim. Il y a de fortes chances pour que mon père, s’il reste à l’armée, soit envoyé là-bas. Il ne conçoit pas de vivre loin de sa femme.
“La guerre du Rif, également connue sous le nom de Révolte du Rif, s’est déroulée entre 1921 et 1926 dans la région montagneuse du Rif, située dans le nord du Maroc. Cette guerre a été principalement menée par les tribus berbères du Rif, sous la direction d’Abdelkrim el-Khattabi, contre les forces coloniales espagnoles et françaises.“
Pour en savoir plus : Une guerre coloniale oubliée : le Rif, 1921-1926 par Romain Ducoulombier
Malgré la mauvaise conjoncture, mon papa trouve un emploi aux Chemins de Fer du Nord.
La SNCF n’existe pas encore. Les chemins de fer français sont divisés en région, ils appartiennent à des compagnies privées : la Compagnie des Chemins de Fer du Nord appartient à la famille Rothschild, la Compagnie de l’Est, la Compagnie du P.L.M (Paris, Lyon, Méditerranée), la Compagnie P&O (Paris-Orléans), la Compagnie de la région Ouest et, pour terminer, celle d’Aquitaine.
Mon Père possède un métier : il est ferblantier, il travaille le fer blanc.
Avec ce métal, on fabrique des casseroles, des gamelles, des quarts, des boîtes de conserve, etc. Travailler comme manœuvre sur les voies ne lui convient pas du tout. Les chemins de fer payent très mal, il quitte donc la voie ferrée pour la Compagnie du Gaz où il répare, en atelier, les compteurs. Il y reste peu de temps, pour cause d’incompatibilité d’humeur entre lui et un contremaître. Je crois même qu’ils en sont venus aux mains.
Après un essai concluant, il trouve finalement un emploi rue de Valenciennes à Lille.
Chez Robert : un petit atelier de tôlerie pour la ventilation. Il n’y restera pas longtemps non plus. Il est ensuite embauché chez OTIS-PIFRE, pour monter des ascenseurs et des escaliers roulants. Cette fois la paye est bonne, le travail intéressant. Il participe à l’installation des escaliers roulants du nouveau magasin MONOPRIX, rue de Béthune à Lille. On ne pourra pas les admirer longtemps car ils seront détruits, peu de temps après, par un incendie.
Un jour de l’hiver 1928-1929, mon père chôme. Il me garde à la maison.
Mais voilà, il n’a plus de cigarettes. Malgré le grand froid, car l’hiver est rude, il décide tout de même d’aller en acheter au débit de tabac du boulevard de l’Usine. Pour ne pas me laisser seul, il m’emmène, enveloppé dans un grand châle de laine. Au coin du boulevard de l’Usine et de la rue du Long Pot, un grand vent froid me fait frissonner. Les jours suivants, il faut appeler le Docteur Scaplinck : j’ai une broncho-pneumonie. Pour l’époque, c’est très grave. Heureusement, je suis bien soigné et j’ai une bonne constitution : je guéris. Le docteur conseille de me faire toujours porter un maillot de corps en coton. Maintenant, celui que je porte l’hiver est en Rhovyl.
Les emplois précaires de mon père, la vie chère obligent ma mère à prendre un emploi.
Elle est couturière, mais en filature, car on y gagne mieux sa vie. Sur les conseils de sa belle-sœur Marthe, elle entre en usine à Wazemmes et c’est comme cela que je me retrouve chez mes grands-parents et que je fais connaissance avec le tramway V.
Il y a deux classes : nous, on voyage en deuxième, c’est moins cher.
Des réclames ornent l’intérieur. Pour le savon CADUM, c’est un visage de gros bébé ou un chien qui tire fort sur les bretelles de son maître. Ou encore la tête d’un bonhomme avec au-dessus de celle-ci un marteau prêt à frapper, avec cette information : « Les petites pilules CARTER pour le foie, enfoncez vous ça bien dans la tête ». La réclame du chocolat DELEPAUL-HAVEZ, surtout, me fascine : on y voit cinq ou six enfants alignés à table avec chacun un bol et une serviette autour du cou. Le mot “chocolat” est inscrit au-dessus d’eux. Les lettres fondent et coulent dans les bols des enfants, dans leur bouche, sur leur main ou leur tête. On retrouve cette publicité sur les buvards et sur les murs de la ville.
Ma grand-mère maternelle, Jeanne, occupe le même type d’appartement que le nôtre, mais dans la maison d’à-côté.
Adolphe, le frère d’Emile Bourguignon (voir article précédent), occupe avec sa femme Jeanne le rez-de-chaussée et le premier étage de cette maison. Ils n’ont pas d’enfant.
Toute la semaine, ma grand-mère travaille et loge dans un orphelinat à Lille, rue des Bleuets. Elle y est couturière. Tous les garçons de cet orphelinat sont en uniforme bleu marine et portent une veste avec des boutons dorés, une casquette avec une lisière et l’insigne des Bleuets. Ils ont de six à vingt et un ans, l’âge de la majorité. Dès quatorze ans, on les place en apprentissage dans des usines ou chez des artisans. Un livret d’épargne reçoit une grande partie de leur salaire jusqu’à leur majorité. Parfois, lors d’une promenade en ville, nous rencontrons des grands garçons de l’orphelinat. Ils disent bien bonjour à ma grand-mère qu’ils estiment beaucoup. Elle leur évite très souvent des punitions en réparant les déchirures de leurs vêtements sans le signaler à la direction.
Ma grand-mère revient chez nous du samedi soir au dimanche soir. Cette nuit-là, je la passe chez elle. Nous dormons tous les deux dans son grand lit. Elle se déshabille derrière un paravent, je me couche et je peux la voir dans la glace suspendue au-dessus de la cheminée. C’est ainsi qu’un samedi soir, j’ai vu dans la glace le derrière de ma grand-mère !
Le paravent est un objet presque indispensable dans ces logements ne comportant qu’une seule pièce.
Cet accessoire est présent dans la plupart des intérieurs. Comme les cabinets sont à l’extérieur, il isole du reste de la pièce le seau hygiénique. On comprend qu’il soit impossible de se rendre la nuit dans la cour pour les besoins naturels. L’été, peut-être, mais l’hiver, sous la pluie, cela n’est pas raisonnable ! Evidemment, ce seau, dit hygiénique, est vidé tous les jours dans les toilettes situées dans la cour. Il est nettoyé à l’eau de Javel. Il y a une place dans la table de chevet pour y mettre ce pot de chambre, aussi appelé vase de nuit. Ces ustensiles de commodité sont nettoyés tous les jours et désinfectés à l’aide d’un produit appelé Crezyl.
Jusque dans les années 1970, en milieu domestique, on désinfectait couramment au Cresyl les toilettes, les cuisines, etc. ; celui-ci se présentait sous forme d’un liquide brun clair – ou quelquefois de granules – qu’on déversait directement sur la zone à désinfecter. Le Cresyl dégageait une odeur particulière autrefois familière des toilettes publiques.
Source : Wikipedia