Marie : une servante au destin tragique

En ce mois d'août, laissez moi vous raconter l'histoire de Marie Becue. C'est en feuilletant les rapports de police de l'année 1888 à Tourcoing que j'ai découvert le destin tragique de cette jeune femme et j'ai voulu en savoir plus sur elle et sa famille. Je vous livre ici le résultat de mes recherches.
Marie Philomène Joséphine Bécue est née le 18 mai 1849 à Sailly-sur-la-Lys (Pas-de-Calais), rue Ervins. Elle est la fille de Jude Silvain Bécue, trente-neuf ans, cultivateur, et de Sophie Adelaïde Bailleul, âgée de vingt-sept ans.
Les parents de Marie se sont mariés le 18 juin 1845 à Sailly-sur-la-Lys1.
Marie a aussi un frère, âgé de trois ans, Jules, né le 14 septembre 18461 à Sailly-sur-la-Lys.
L’an mil huit cent quarante neuf, le dix neuf mai, à midi, par devant nous Jacques Marie Padie, adjoint, remplissant par délégation du maire les fonctions d’officier de l’état civil de la commune de Sailly-sur-la-Lys, canton de Laventie, arrondissement de Béthune, département du Pas-de-Calais, a comparu Jude Silvain Bécue âgé de trente-deux ans, cultivateur, domicilié à Sailly-sur-la-Lys, lequel en présence de Alexis Bailleul, âge de cinquante-sept ans, cultivateur domicilié à Estaires, et de Etienne Henri Leroy, âgé de trente-et-un ans, propriétaire domicilié audit Sailly, a déclaré que le jour d’hier, à cinq heures du matin, Sophie Adelaïde Bailleul, son épouse, âgée de vingt-sept ans, est accouchée en son domicile, rue Ervain, d’une enfant du sexe féminin qu’il nous a présenté et auquel il donne les prénoms de Marie Philomène Joséphine. Et ont le père et les témoins signé avec nous le présent acte, après lecture ./.
AD62 – 5 MIR 736/4 – Sailly-sur-la-Lys (598)
En France en 1849…
La France est sous la deuxième république présidée par Louis Napoléon Bonaparte, le futur Napoléon III.
Une pandémie de choléra fait environ cent cinquante mille morts.
le premier timbre est émis le 1er janvier .
George Sand publie « La petite Fadette ».
Le procédé de revêtement des chaussées, inventé par un certain Mac Adam, est introduit en France.

Source : Galllica.bnf.fr

En mai 1851, au recensement à Sailly-sur-la-Lys, Marie vit avec ses parents, son frère Jules, sa grand-mère paternelle Valentine âgée de soixante-cinq ans et également son oncle paternel Louis âgé de vingt ans.
Le jeudi 22 juillet 1852 à Sailly-sur-la-Lys1, Marie a une petite sœur. Elle se prénomme Camille Louise Victoire.
Marie a trois ans
Sa maman décède moins d’un an plus tard, âgée de trente ans, le 18 mars 18531 à Sailly-sur-la-Lys alors que Marie n’a que quatre ans, son frère Jules sept et sa sœur Camille huit mois.


En mai 1856 au recensement, le père Jude, désormais marchand de paille, est présent avec ses trois enfants. Vivent toujours avec eux la grand-mère Valentine et également l’oncle Louis.
Marie a sept ans
Le 18 juin 18571, son frère Jules, alors âgé de dix ans, décède à son tour.

En mai 1861 au recensement, Marie vit avec son père, sa petite sœur Camille, sa grand-mère Valentine, qui a maintenant soixante-huit ans, et son oncle Louis, trente ans.
Marie a douze ans
L’oncle Louis se marie l’année suivante le 29 septembre 18621 à Sailly-sur-la-Lys avec Marie Amélie Henneron, âgée de trente-quatre ans, native de Sailly-sur-la-Lys.
Le 25 janvier 1863, Marie perd sa grand-mère Valentine âgée de soixante-dix ans. Les deux frères, Jude et Henri déclarent le décès de leur mère en mairie le 27.
Quelques mois plus tard, le 23 septembre 18631 à Sailly-sur-la-Lys, le père de Marie se remarie avec Augustine Anastasie Mélanie Leroy, une veuve âgée de cinquante-cinq ans. Elle a quatre enfants de son premier mariage avec Charles Ribreu décédé trois ans plus tôt : Paul, vingt-huit ans, marié, Félicie, vingt-six ans, mariée, Jules, vingt-deux ans, et une fille Camille âgée de onze ans.
Le couple s’installe dans la maison qu’occupait Augustine « au Bourg » et Jude est désormais cabaretier.
Quant à son frère Louis, il occupe avec sa femme la maison de la rue Ervins. En 1866, ils ont déjà deux enfants, Louis et Louise. Ils auront aussi un petit Henri en 1867.
Marie a maintenant dix-sept ans mais elle ne réside plus à Sailly-sur-la-Lys…


Le 11 juin 1872, l’oncle Louis, est condamné par les assises de Saint-Omer aux travaux forcés à perpétuité pour « attentat à la pudeur sur son propre enfant ».
Il arrive au bagne de Toulon le 21 septembre 1872 après que son pourvoi en cassation ait été rejeté le 6 juillet 1872.
Il est envoyé au bagne de La Nouvelle Calédonie le 18 avril 1873.
Source : Archives nationales d’outre-mer – Dossier individuel de bagne – FR ANOM COL H 360


Jude, le père de Marie décède à Sailly-sur-la-Lys le 12 septembre 1875.
Sa sœur Camille vit avec leur belle-mère jusqu’à son mariage le mardi 8 mai 18771 à Sailly-sur-la-Lys avec Alexis Désiré Alfred Barbry. Elle a vingt-cinq ans et lui trente. Elle est couturière, il est charron. Ils ont une petite fille le 16 mars 1878 qui se prénomme Marie Sophie Adeline1. Camille est désormais cabaretière et non plus couturière.
Quant à Marie , elle a vingt-neuf ans mais elle ne réside plus à Sailly-sur-la-Lys depuis une dizaine d’années environ.
1888
Marie a trente-neuf ans. Elle est célibataire. Elle travaille comme servante à Roubaix rue du Grand Chemin, chez Madame Claire Ernoult (née Taffin), épouse de Jean François Théodore Ernoult, apprêteur. Ils se sont mariés à Tourcoing le 5 mai 18842.
Ce dimanche 17 juin 1888, Marie tient, depuis trois jours, la maison des parents de sa patronne, rue du tilleul à Tourcoing, chez Mr et Mme Taffin-Binauld, qui sont en villégiature à Ostende (Belgique).

Parmi le personnel de maison, les servantes étaient tout en bas de l’échelle sociale. Elles venaient très souvent de la campagne et commençaient à travailler dès l’âge de 14 ou 15 ans. À l’époque, on pensait qu’être domestique leur permettrait d’acquérir les qualités dont elles auraient besoin plus tard pour tenir leur maison, contrairement au travail d’ouvrière en usine.

Henri Romain Bernardin Joseph Taffin a cinquante-huit ans. Il est marchand brasseur. En 1872, avec son beau-frère Henri Florent Binauld, il crée la société Henri Binauld et Cie, ayant pour objet l’exploitation d’une brasserie. Henri Taffin est marié depuis le 10 octobre 1860 avec Marie Noël Binauld3, la sœur de son futur associé.



A huit heures du matin ce dimanche 17 juin 1888, Marie n’arrive pas à allumer correctement la cuisinière. Elle décide alors d’y jeter du pétrole pour activer le feu. Bien mal lui en prend, une forte explosion se produit alors et le liquide enflammé est projeté sur ses vêtements qui prennent feu aussitôt. Affolée, Marie se sauve en hurlant mais ceci ne fait qu’activer plus encore les flammes. Des ouvriers brasseurs accourent et réussissent enfin à éteindre le feu mais il est déjà trop tard. Le docteur arrive sur les lieux et ne peut que constater la gravité de son état. Il tentera au moins de soulager ses souffrances. Avant de mourir, Marie demande que son corps soit remis à sa famille à Laventie.
Elle décède à deux heures du matin le 18 après une longue agonie.

Tourcoing, le 18 juin 1888
J’ai l’honneur d’informer Monsieur le Préfet que, hier matin, vers 8h1/2, la Née Béccue (Marie), 39 ans, servante chez M. Taffin Binauld, brasseur, rue du tilleul, voulant alimenter et activer la combustion du foyer de sa cuisinière, commit l’imprudence d’y jeter du pétrole ; le liquide prit feu immédiatement, et se répandit enflammé sur la servante.
Entouré par les flammes qui avaient entouré ses vêtements, elle se rendit dans la cour en criant au secours, des ouvriers brasseurs se précipitèrent à son secours, mais les brûlures avaient atteint un tel degré de gravité, qu’à deux heures du matin, la malheureuse victime expirait dans la brasserie des époux Taffin-Binauld qui se trouvaient en ce moment en villégiature à Ostende.
Le corps a été transporté à Laventie, selon le désir qu’elle avait formulé dans son agonie.
Le Commissaire Central


L’an mil huit cent quatre-vingt-huit, le dix-huit juin à neuf heures du matin, par devant nous, fidèle lehoucq adjoint au maire de la ville de Tourcoing, chef lieu de canton, arrondissement de Lille, département du Nord, remplissant par délégation dudit Maire les fonctions d’officier de l’Etat Civil, ont comparu Charles Libert âgé de cinquante-huit ans, marchand liquoriste et Jean Baptiste Pau âgé de trente ans ouvrier de ferme, tous deux domiciliés à Tourcoing non parents ni voisins de la défunte. Lesquels nous ont déclaré que ce jour à deux heures du matin Marie Philomène Joséphine Bécue, âgée de trente-neuf ans un mois, servant, née à Sailly-sur-la-Lys, Pas-de-Calais domiciliée à Tourcoing, célibataire, fille légitime des feus Jude Silvain et Sophie Adelaïde Bailleul, est décédée au domicile de Taffin-Binauld sis rue du tilleul ainsi que nous nous en sommes assuré. Et ont les comparants signé avec nous après lecture ./.
De nombreux journaux relatent ce drame. En voici quelques exemples.



Sources :
1 AD62 – 5 MIR 736/5
2 AD59 – 1 Mi EC 599 R 017
3 AD59 – 5 Mi 044 R 225
Très bel article qui met bien en valeur une « petite gens » comme on en a tous connu et dont personne ne parle jamais. Ça fait partie du devoir de mémoire, merci.
Très bel article bien documenté. Quelle fin tragique!
Mes petites observations :
* Il manque la référence du plan de Tourcoing
*Le fait divers de l’oncle Louis vient à mon sens perturber l’histoire de Marie, et le fil de la lecture, comme la précision de création de société Henri Taffin. Cela pourrait faire par contre l’objet d’autres articles ? 😉
Merci Véronique !
Je vais rajouter la référence manquante.
Je pense en effet faire un article spécifique sur l’oncle Louis.
la narration est très captivante, la mise en page originale. Le tout est très bien documenté. Bravo
Pauvre Marie 😥. Je ne peux qu’imaginer sa douleur.
Article très bien documenté. Bravo pour le travail de recherche.
Merci Olivier .
très bel article , bien documenté et avec plusieurs types de documents ( photos , articles de journaux , état civil …)
merci pour ce très gros travail et cette triste mais belle histoire
Bravo
Ton commentaire me touche et m’encourage à continuer. Merci Pascale 🙏
Histoire très bien documentée et illustrée. Belle présentation.
C’est effectivement un tragique destin. L’histoire de Marie Bécue est très bien commentée et illustrée. C’est impressionnant comme les journaux de l’époque détaillaient avec grande précision les événements !