La guerre 39-45 vécue par un enfant de Fives – 3 – L’armistice
Rappel
En 1939, mon père a douze ans. Il habite à Fives* avec ses parents qui tiennent un café rue du Long Pot. Sa petite sœur Jeanine a à peine deux mois au moment de la déclaration de guerre. Voici comment il a raconté dans ses mémoires la façon dont il a vécu ces événements.
Episode 1 : La drôle de guerre
Episode 2 : Les Français sur les routes
* Fives est un quartier de Lille ainsi que le nom de l’ancienne commune indépendante du département du Nord rattachée à Lille lors de l’agrandissement de 1858 et correspondant aux quartiers actuels de Fives et de Saint-Maurice Pellevoisin.
Le 28 mai au matin, les Allemands entrent dans Lille par l’Est.
Ils investissent la Citadelle, coupent la route d’Armentières et s’emparent de la Préfecture. Alors que Lille est déclarée ville ouverte, nos troupes commandées par le Général Molinié continuent à se battre.
Il en est de même à Canteleu des Marocains du Général Méllier, à Haubourdin de la 5ème division nord-africaine, ainsi que les éléments d’infanterie de la 1ère division du Général Jenoudet dans les faubourgs de Loos.
Le Général Juin, commandant les restes des 4ème et 15ème divisions, tient le sud à Emmerin, Wattignies, l’Arbrisseau. Une tentative de dégagement vers Santes échoue le soir. Lomme cependant est reprise pendant quarante-huit heures.
La Belgique capitule
La capitulation belge qui menace de laisser une brèche béante de Gravelines jusqu’à la Lys ajoute à la confusion générale et accélère le repli vers Dunkerque du corps expéditionnaire britannique.
Dans la nuit du 29 mai, les restes de la 15ème division sont neutralisés, le général Juin est pris. Le Faubourg des Postes tombe comme Lambersart, Lomme et Loos. Le réduit d’Haubourdin tiendra jusqu’au 31 mai.
Honneurs aux vaincus
A ces combattants, le général allemand Waeger rend les honneurs de la guerre le 1er juin sur la Grand-Place, en faisant défiler devant leurs officiers les éléments d’une douzaine de régiments.
C’est un fait rarissime. Seuls au cours de la guerre 14-18, les défenseurs du fort de Vaux ont eu droit aux honneurs des vainqueurs.
Le lendemain le Général Waeger est limogé par Adolph Hitler.
La reddition d’Haubourdin ne précède que de trois jours la chute de Dunkerque.
Peu à peu, les Allemands prennent possession de la ville.
Vol de mes soldats de plomb
Pendant que je fais la queue avec mes copains devant un magasin d’alimentation, ouvert par la police, des soldats allemands fouillent les maisons.
Chez nous, ils inspectent le café de la cave au grenier. Arrivés dans ma salle de jeux ils sont impressionnés par ma collection de soldats de plomb. Un boche emporte une dizaine de mes spécimens, des légionnaires. « Bandes de voleurs ! », telle est ma réaction devant ce forfait révoltant. Voler un gosse, belle victoire militaire sur des soldats de plomb ! Il ne l’emportera pas au paradis !
Le 4 juin, « l’opération Dynamo » a commencé à Dunkerque. Elle a remporté un succès inespéré. Au terme des 9 jours qu’a duré cette opération, 338 226 soldats alliés, dont 123 095 Français et 16 000 Belges furent sauvés.
Dès le 29 mai, les Britanniques du vice-amiral Ramsay avaient engagé dans l’évacuation maritime entre 600 et 800 bâtiments de toutes sortes, des remorqueurs de la Tamise jusqu’à de simples yachts.
Un peu à la fois, presque tous les habitants de mon quartier sont rentrés. Pourtant quelques maisons restent encore closes, ce sont pour la plupart des maisons de gens riches qui ont quitté leur domicile une semaine ou deux avant la débâcle. Mon papa n’est pas rentré, nous n’avons pas de nouvelles. Maman pense qu’il a réussi à passer et qu’il se trouve maintenant quelque part dans le sud de la France.
La foire commerciale sert de camp de prisonniers.
Avec les copains, nous allons par-derrière, dans le quartier dit du « Grand-Balcon ». Nous y parvenons grâce à la passerelle en bois qui enjambe les voies multiples de la gare de triage des chemins de fer. Cet endroit est peu surveillé par les sentinelles allemandes, peu nombreuses.
Nous portons de l’eau et aussi quelques vêtements civils aux prisonniers français pour qu’ils puissent s’évader. La chose est encore très facile, vu le manque de surveillance. Malheureusement, beaucoup refusent. Ils pensent que la guerre est terminée et que les Allemands les laisseront rentrer chez eux.
Ils le regretteront plus tard, car la majorité d’entre eux passera plus de quatre années en captivité en Allemagne.
Les usines sont toujours fermées.
Rien ne fonctionne. Des boulangeries ont rouvert quelques jours, le temps d’épuiser leur stock de farine. Les magasins ne sont pas approvisionnés. Il n’y a pas de légumes frais sauf pour ceux qui possèdent un petit jardin et qui profitent de leur récolte de petits légumes.
Nous n’avons plus de bière. Maman et moi allons louer une « baladeuse » rue Malakoff et nous allons à la brasserie Maes-Frères. La brasserie est ouverte mais il y a peu d’ouvriers présents. Nous devons nous débrouiller pour charger sur la baladeuse deux fûts de bière. Maman passe par le bureau pour payer, ce sont les patrons eux-mêmes qui reçoivent.
La brasserie est située rue de la Louvière, à l’emplacement de l’actuelle clinique du même nom.
En face de la brasserie il y a le domaine des petites sœurs. Elles ont fait pousser des salades à l’emplacement des pelouses. Maman et moi en cueillons une dizaine. Enfin, nous aurons du frais à manger !
C’est à partir de ce jour-là que j’ai mangé de la laitue. Avant, je n’aimais pas. Seulement, quand il n’y a rien d’autre, on s’en contente. Nous l’avons assaisonnée avec du vinaigre, nous n’avions plus d’huile.
Le 17 juin, le maréchal Pétain demande l’Armistice.
Le 18 juin, de Londres, parvient un appel discret : celui du Général De Gaulle.
De ses studios londoniens, la BBC a radio-diffusé un message du général.
Celui-ci refuse l’armistice et la fin des combats, s’opposant ainsi à ce que Philippe Pétain demande aux Français.
« Moi, Général De Gaulle, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialisés des industries d’armement qui se trouveraient en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi. »
Le message, qui, peut-être en raison des brouillages allemands, semble avoir été peu entendu en France, est reproduit par l’ensemble de la presse britannique et certains journaux français. Le général De Gaulle, qui se trouve actuellement à Londres à la suite d’un ordre de mission de Paul Reynaud, conclut son message en déclarant : « Quoi qu’il arrive la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas! ».
Mais nous, nous n’avons pas entendu les messages, ni celui de Pétain, ni celui de De Gaulle, car nous ne pensons pas à allumer le poste de radio. Nous ne sommes pas habitués à écouter les nouvelles de cette façon. Nous n’aurons connaissance du message du général De Gaulle que bien plus tard, par les journaux clandestins comme « La Voix du Nord » qui nous parvient par l’intermédiaire de Monsieur Smekens*.
* Paul Constant Smekens mourra en déportation le 9 mars 1945 à l’âge de quarante-huit ans.
Le 22 juin l’armistice est signé.
Peu à peu, la vie se réorganise.
A notre Franc vient s’ajouter le Reichsmark. Les autorités allemandes lui ont donné une valeur fictive de vingt Francs français pour un Reichsmark, comme ça les allemands peuvent acheter des objets de luxe à des prix très avantageux. De ce fait, ils n’ont plus besoin de voler, ils le font en payant avec de la monnaie de singe.
Un après-midi, nous avons l’heureuse surprise de voir revenir mon père. Quelle joie de se retrouver ! Mais je vais perdre ma place de chef de famille ! Papa en arrivant a déposé son vélo en me disant : « J’en ai assez du vélo, je n’en veux plus, je te le donne ».
Je ne l’ai pas fait répéter deux fois, j’ai sauté sur l’engin et fou de joie j’ai fait plusieurs fois le tour de la rue. Ma joie est de courte durée, mon père me rappelle. Il a changé d’idée, vu les événements, il aura certainement besoin de sa bicyclette, il me demande de la rentrer immédiatement. C’est fini, je ne suis plus propriétaire d’une bicyclette d’homme.
Le plus important est que nous sommes enfin réunis. Notre famille est au complet. Beaucoup n’ont pas cette chance. Bien des femmes sont seules avec leurs enfants, souvent en bas-âge, leur mari étant prisonnier.