Borre 1876 – Chapitre 4 – Le secret de la confession
Résumé des chapitres précédents
Après avoir tenté d’assassiner Pauline Oudoire, Louis Yden se rendait à la gendarmerie et y déclarait qu’il éprouvait pour cette jeune femme une violente passion, qu’il aurait voulu l’épouser mais que le refus et le dédain de celle-ci l’avait déterminé à la tuer et à se suicider ensuite. Il révélait également avoir incendié quelques mois plus tôt la ferme de Pauline Oudoire, se vengeant ainsi de son indifférence envers lui, espérant en même temps l’appauvrir et arriver à la réalisation de son projet de l’épouser. Lors de son interrogatoire par le juge Desmazière, ce dernier s’enquérait des circonstances de la mort l’année précédente de Caroline Catoen, la femme de Louis Yden, décédée subitement. C’est alors que l’inculpé, contre toute attente, avouait également avoir tué son épouse et décrivait en détail le mobile, la préparation et l’exécution de son crime.
A la fin du chapitre précédent, nous avions quitté le juge et Louis Yden au moment où ce dernier allait donner l’identité de la personne à qui il s’était confié au sujet de la mort de son épouse.
Lundi 7 août 1876. Bureau du juge Demazière – suite du 2e interrogatoire
…Il n’est qu’une personne avant vous à qui j’ai parlé de la façon dont ma femme était morte et je vais vous dire qui et dans quelles conditions je lui ai parlé...
Deux mois environ après la mort de ma femme, sous l’emprise des remords qui m’agitaient, j’allai chez Mr le Curé de Borre Né Cappelaere. Il n’était point chez lui. Le sieur Charles Louis Vanneufville étant alors malade, il s’y était rendu. Je priai la sœur qui est en même temps la servante de dire au curé qu’il devait sitôt son retour venir me voir. Il arriva chez moi vers 11 heures 1/2 du matin. Je lui communiquai une lettre que j’avais écrite et dans laquelle j’avais retracé exactement la façon dont j’avais tué ma femme. Il la lut. Après qu’il l’eut lue je lui demandai si, comme était mon intention, je devais me constituer prisonnier, ajoutant que je croyais si je ne le faisais point, ne point pouvoir aller au ciel.
Il me répondit : « Si vous faites une bonne confession, vous pouvez aller au ciel ; pour y aller il n’est pas nécessaire que vous vous dénonciez à la justice ».
Je lui fis alors observer : « Si je me dénonçais à la justice, une grande honte rejaillirait sur toute ma famille ». Le prêtre me répondit : « C’est vrai ». Il me donna deux jours pour me préparer à la confession, puis me quitta en faisant mine d’emporter la lettre que je lui avais donnée à lire. Convaincu, d’après ce qu’il m’avait dit, que sans me livrer à la justice, je pouvais moyennant une bonne confession, aller au ciel, je lui fis observer qu’en portant chez lui ma lettre révélatrice, elle pouvait, dans le cas de mort subite de sa part, tomber entre les mains de la justice. Il me répondit : « Cela est exact ». Il déchira la lettre et en jeta les débris dans le poêle.
Il eut pourtant mieux fait de me dire alors que ce que j’avais de mieux à faire, était, en outre d’une confession, de me dénoncer à la justice, car il m’eut épargné deux nouveaux crimes, l’incendie de la ferme Oudoire et la tentative d’assassinat sur Pauline.
Que contenait la lettre que vous avez faite lire par Mr le Curé Cappelaere ?
Vous dire absolument tout ce qui y était écrit me serait difficile. ce que je puis vous affirmer, c’est que j’y disais qu’à peine ma femme avait écrit son testament, je fus pris de l’idée de la tuer, que je l’avais effectivement tuée en l’étouffant à l’aide d’un mouchoir et qu’après avoir commis le crime j’avais pris la précaution de transporter le cadavre dans mon lit. Je ne saurais vous affirmer que dans la lettre il était dit que pour amener une suffocation plus certaine, j’avais eu soin d’enfermer dans le mouchoir qui m’avait servi un morceau de papier, mais je suis sûr de lui avoir, après qu’il eut lu la lettre, donné verbalement ce détail.
Nous faisons observer à l’inculpé que notre intention est de le confronter avec Mr le Curé Cappelaere et l’engageons à nous dire si tout ce qu’il vient de nous déclarer est bien l’exacte vérité. Il répond :
Tout ce que je vous ai dit est vrai. Quand je serai confronté je le dirai comme aujourd’hui et n’oublierai pas non plus de lui observer que s’il m’avait engagé ce jour là à me rendre à la justice, il m’eut épargné deux crimes.
Puis il a ajouté :
Quand vous m’avez demandé si, à l’époque où à une époque proche de la confection du testament, je n’avais pas conçu l’idée de tuer ma femme et si je ne l’avais pas effectivement tuée en l’étranglant avec un mouchoir, ne m’avez vous pas posé ces questions parce que le Curé de Borre vous avait donné ces détails ?
Nous lui répondons que Non, que, vu ses agissements, cela ne nous était point nécessaire pour être moralement convaincu de la véracité de nos soupçons. Alors il nous dit :
Si je n’avais pas cru qu’on vous avait déclaré mon crime je ne l’eusse pas, tout au moins de suite, avoué et aurais cherché pendant quelques temps du moins à m’en disculper.
Depuis combien de temps habitez vous à Borre ?
Depuis 12 ou 13 ans.
Quelles sont les personnes pour lesquelles pendant ces 12 années vous avez travaillé. j’entends vous demander par là non pas toutes celles pour lesquelles vous auriez pu par ci par là travailler un jour, mais celles au service desquelles vous êtes resté un temps assez long pour qu’elles aient eu le temps de vous connaître et par suite de vous apprécier.
Ce sont les Nés Degrendel soeurs, Henri Staes, Vve Oudoire, Vve Alexandre Lysen et Coussemacker. En outre à plusieurs reprises j’ai travaillé pendant plusieurs jours chaque année chez Benoit Ryckebuck, Charles Staes, Pierre Soots maire et Louis Soots.
Lecture faite a dit y persister, a signé avec nous, le commis greffier et l’interprète.
A la fin de cette journée du 7 août 1876, lors d’un rapide troisième interrogatoire, le juge signifia à Louis Yden son inculpation pour homicide avec préméditation. Voir ici le document original.
Enquête de police
Prenons connaissance de l’enquête de police diligentée par le juge afin d’interroger les personnes citées par Louis Yden et chez qui il avait travaillé ces dernières années.
Le mardi 8 août le juge prit connaissance des copies d’actes notariés que Me Bogaert, notaire à Hazebrouck, lui avait fait parvenir. Un nouvel interrogatoire de Louis Yden fut planifié dès le lendemain.
Mercredi 9 août 1876. Bureau du juge Demazière – 4ème interrogatoire
Lors de votre dernier interrogatoire vous m’avez soutenu que l’idée de mettre à mort votre femme ne vous était venue qu’après la confection du testament qui vous instituait en cas de prédécès de sa part, son légataire universel en pleine propriété.
Je me suis fait communiquer la copie de ce testament et aussi celle d’un autre testament précédant celui-là. Le testament fait le 12 Xbre 1870 vous donnait l’usufruit de tout les biens meubles et immeubles de votre femme. Celui du 9 janvier 1874 vous instituait au contraire légataire universel des mêmes biens en toute propriété.
J’en conclus que si vous n’aviez fait faire le testament du 9 janvier 1874 que dans le but, comme vous me l’avez dit, de profiter uniquement pour vous de sa fortune et non pas, au contraire, dans celui de pouvoir déposer cette fortune jointe à la vôtre aux pieds de Pauline Oudoire, vous vous seriez contenté du testament qui vous instituait usufruitier. Et par suite j’en arrive à croire qu’avant même que votre femme n’eut fait, sur votre demande, son testament du 9 janvier 1874, vous aviez l’intention de la tuer.
L’idée de tuer ma femme ne m’est venue que quelques temps après la confection du dernier testament et si je me suis fait instituer légataire universel en toute propriété, c’est parce que de cette façon, il m’était possible de faire de sa fortune tout ce que je voulais tandis que comme usufruitier j’avais les mains liées. Je me disais en faisant changer le testament de 1870 : ma femme a douze ans de plus que moi environ, j’ai chance par suite de lui survivre, et dans ce cas, si par testament j’ai la pleine propriété de ses biens, je pourrais, après sa mort, que je n’avais encore en aucune façon méditée à ce moment, en faire tout ce que je voudrais et me marier plus facilement avec Pauline Oudoire que si je n’avais eu que l’usufruit.
Les révélations que successivement vous m’avez faites, ont amené sur votre tête tant de charges que si vous aviez commis d’autres crimes que ceux dont vous vous êtes reconnu coupable, ces aveux ne pourraient guère changer votre position et au contraire pourraient s’ils étaient spontanés vous être tenus en compte.
La rumeur publique vous accuse non seulement des trois crimes que je connais, mais encore d’un 4eme et avec vos habitudes et en présence de certaines circonstances particulières que je vais vous dire, la rumeur publique pourrait bien aussi ne pas se tromper.
Vous qui n’avez point hésité à tuer votre femme que tout le monde se complait à reconnaître comme ayant été la meilleure des femmes, n’auriez vous non plus été l’auteur de la mort subite, vous le savez, de votre tante Barbe Outtier*, morte le 26 juin 1872, après vous avoir, à vous et à votre femme, le 6 Xbre 1870 par son testament légué tous ses biens meubles et immeubles ?
* Barbe Brigitte Outtier était la tante maternelle de Caroline Catoen, l’épouse de Louis Yden. Elle était née en 1800 et ne s’était jamais mariée. Elle mourut le mercredi 26 juin 1872 chez Louis Yden qui déclara son décès en mairie (voir son acte de décès). Deux ans plus tôt, elle avait fait un testament chez Maître Bogaert, notaire à Hazebrouck.