Borre 1876 – Chapitre 2 – Louis Yden
Dans le chapitre précédent, Louis Yden avait tenté d’assassiner Pauline Oudoire, le 6 août 1876, en lui tirant deux coups de fusil à bout portant. Elle n’avait été que légèrement blessée. Louis était allé immédiatement se constituer prisonnier à la gendarmerie où il avait avoué être également l’auteur de l’incendie qui avait ravagé la ferme de Pauline Oudoire en avril de la même année. Le mobile invoqué par Louis Yden était que Pauline avait repoussé ses avances.
Avant de suivre en détail l’instruction menée par le Juge Demaziere jusqu’à la conclusion finale de cette affaire, essayons d’en savoir un peu plus sur l’auteur de ces méfaits.
Louis YDEN
Charles Louis Yden est né le lundi 12 mars 1838 à Sainte-Marie-Cappel, petite commune à huit kilomètres au nord d’Hazebrouck
Il est le fils de Martin Léonard, vingt-huit ans, journalier, et d’Eusébie Victoire Laheyne son épouse, vingt-trois ans.
Son petit frère, Pierre François, nait le 21 juillet 1840, et sept ans plus tard, sa petite sœur, Marie Sophie, voit le jour le 12 novembre 1847. Louis a neuf ans.
Puis la famille s’installe à Cassel. Et le 16 février 1849, une nouvelle petite sœur vient au monde, Rosalie Marie. Louis va avoir onze ans.
Le 26 novembre 1851 nait une troisième petite soeur, Adèle Marie Octavie.
Son père meurt le 25 août de l’année suivante. Louis a quatorze ans.
Sa dernière soeur Adèle meurt à l’âge de quatre ans, le 14 septembre 1856.
Louis est maintenant âgé de dix-huit ans. Il est écangueur*. Son frère Pierre et ses sœurs, Marie et Rosalie ont respectivement 16, 9 et 7 ans.
*Ecangueur de lin, ouvrier qui écangue : broie puis détache le lin, pour en retirer les fibres textiles au moyen d’un couperet appelé l’écang
Caroline CATOEN
Justine Caroline Amélie Catoen est née le lundi 30 octobre 1826, à Cassel.
Elle est la fille de Pierre Jean, trente-neuf ans, cordonnier, et de Reine Constance Outtier, son épouse, trente-trois ans.
Sa sœur ainée, Catherine Fidèle est née le 14 janvier 1824 à Cassel.
Une petite sœur, Rosalie Mélanie, vient au monde le 13 juin 1829.
Puis le 4 mai 1833 c’est un petit frère Charles Louis qui nait à Cassel. Mais il décède le 9 août 1834.
Son père meurt à Cassel le 12 mai 1838, à l’âge de cinquante ans. Caroline a douze ans.
Sa sœur Catherine se marie à vingt-huit ans le 3 février 1852 à Saint-Sylvestre-Cappel avec Pierre Louis Fidèle Marquis, vingt-neuf ans.
Sa benjamine, Rosalie, se marie à trente-et-un an, le 29 janvier 1861 à Terdeghem avec Henri Louis Dufflou, vingt-sept ans.
Caroline a bientôt trente-six ans.
Le mariage
Le mardi 3 novembre 1863 à Sainte-Marie-Cappel, Louis Yden épouse Caroline Catoen de douze ans son ainée.
Le couple s’installe à Sainte-Marie-Cappel.
La sœur de Louis, Marie Sophie, décède à l’âge de dix-sept ans le 7 avril 1865 à Cassel. C’est Louis qui déclare le décès à la mairie. Louis a vingt-sept ans.
Installation à Borre
Le dimanche 27 juin 1869, Louis Yden fait l’acquisition d’une maison vicariale à Borre, avec trente deux ares de fonds et jardin selon un acte de vente sous seing privé passé avec Pierre Bruneel. L’acte de vente est transcrit au bureau des hypothèques (Source : AD du Nord – 4 Q 33 – 394).
Louis démolit la maison existante et en reconstruit une autre où le couple s’installe.
Caroline travaille à la ferme Oudoire comme sarcleuse de lin, tandis que Louis, journalier, offre ses services chez divers cultivateurs du village. Il va aussi parfois donner un coup de main aux champs à la ferme Oudoire. Le couple sympathise avec la veuve Oudoire et sa fille Pauline. Ces dernières vont souvent boire le café chez Louis et Caroline le dimanche au retour de la messe.
Le mercredi 29 juillet 1874 à Hondeghem, Louis est témoin au mariage de son frère Pierre, cultivateur âgé de trente-quatre ans, avec Marie Florence Rousseel.
Tout semblait donc aller pour le mieux pour Louis et Caroline.
Mais dans la nuit du 8 au 9 novembre 1875…
Les faits racontés par Louis Querleu
Dans la nuit du 8 au 9 9bre 1875, Louis Yden, vers une heure du matin, est venu frapper à ma fenêtre et avant que je n’eusse ouvert la porte me dit : « pour l’amour de Dieu, Querleu, venez bien vite chez moi, je crois que ma femme est en train de mourir ». Je lui répondis : « j’y viens de suite » et en effet fis telle diligence que j’arrivai chez lui presque aussitôt que lui, pas à une minute d’intervalle.
La porte de la maison était ouverte, j’y pénétrai. Caroline Catoen, sa femme, était étendue sur un lit dont elle tenait le milieu, les mains hors des couvertures qui la recouvraient jusqu’à hauteur du cœur. La bouche était ouverte. Elle était coiffée d’un bonnet. Louis Yden me paraissait fort triste.
Je pris l’une des mains de sa femme qui était encore chaude et lui tâtai le pouls.
Il ne battait plus.
Il me demanda comment je la trouvais.
Je lui répondis : « Je ne suis pas médecin et n’oserais vous dire si elle est morte ou pas ».
Cependant j’étais bien convaincu qu’elle l’était, et si je ne le lui ai point dit, c’est que je craignais lui faire de la peine.
Je remarquai aussi en examinant sa femme qu’elle portait à la lèvre une toute petite blessure, j’y portais sans doute par mon regard une attention qu’Yden remarqua, car sans la moindre observation à ce sujet de ma part, il me dit immédiatement : « ma femme était couchée avec moi cette nuit quand elle fut prise, s’étant levée, d’une envie de vomir. je lui tendis le pot de chambre et elle est tombée la figure en avant sur le bois de notre lit ».
Il me dit alors : « Pour l’amour de Dieu, allez chercher le curé ». J’y courus aussitôt et lui dis lorsqu’il m’ouvrit la porte : « C’est Louis Yden qui m’envoie chez vous, venez bien vite car je crois que sa femme est morte ».
Le curé me suivit de près ou plutôt m’accompagna jusque chez Yden.
Arrivés là, il fit comme j’avais fait c’est à dire qu’il tâta le pouls à Caroline et au signe qu’il me fit des yeux je m’aperçus bien qu’il partageait l’idée que je lui avais émise et que pour lui Caroline était morte.
Cependant il lui donna l’extrême onction.
Pendant ce temps Louis Yden pleurait.
Les faits racontés par le Docteur Smagghe
Le 9 9bre 1875 j’ai été appelé à constater la mort de Caroline Catoen femme Yden.
La face était d’un rouge violacé, les lèvres bleuâtres, et un peu d’écume sortait de la bouche et des fosses nasales.
A ces signes et aussi parce que le mari, sur la demande que je lui ai faite, avait répondu que sa femme avait eu des envies de vomir dans la nuit et avait été prise d’oppression très forte, je reconnus les symptômes d’une « mort par asphyxie, résultat d’une affection du cœur« .
Dès 9 heures ce matin là, Louis Yden et son ami Louis Querleu allèrent déclarer le décès de Caroline Catoen à la mairie de Borre.
Elle avait quarante-neuf ans.
Cinq mois plus tard, Louis incendiait la ferme de Pauline. Puis il tentait de l’assassiner six mois après …
Quels événements, quelles circonstances ont pu amener Louis Yden à commettre ces crimes ?
Pour en savoir plus, revenons au dimanche 6 août 1876, le jour de la tentative d’assassinat et prenons connaissance du premier interrogatoire de Louis Yden par le Juge d’Instruction François Demazière, assisté de M. Debert, interprète, Louis Yden ne parlant que le flamand.
Le juge : Quels sont vos nom, prénoms, âge, état, lieu de naissance et demeure ? Etes vous marié, veuf ou célibataire, avez-vous des enfants ?
Yden, Charles Louis, 38 ans, fils de feu Léonard et de Eusébie Laheyne, journalier – ménager, né à Ste Marie Cappel et demeurant à Borre, veuf de Caroline Catoen, sans enfants.
Savez-vous lire et écrire ?
Oui
Avez-vous déjà été repris de justice ?
Non jamais
Vous êtes inculpé d’avoir 1° le deux avril 1876 à Borre, volontairement mis le feu à la ferme occupée par la veuve Oudoire, cultivatrice au dit lieu, et à une dépendance de la ferme. Avec cette circonstance que la dite ferme et les dépendances étaient habitées. 2° le 6 août 1876 à Borre tenté d’homicider volontairement la Née Pauline Oudoire, cultivatrice au dit lieu. Tentative manifestée par un commencement d’exécution qui n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de votre volonté. Avec ces circonstances que la dite tentative aurait été commise 1°avec préméditation 2° avec guet-à-pent
Je reconnais avoir volontairement mis le feu, dans la nuit du 2 du mois d’avril dernier, à la ferme occupée par la veuve Oudoire.
Pour quel motif et dans quelles circonstances avez vous mis le feu à cette ferme ?
Je me suis marié en 1863, vers la Toussaint avec la Née Caroline Catoen. Je n’en ai jamais eu d’enfants.
Il y a trois ans environ, je me suis senti pris d’une passion très vive pour la Née Pauline Oudoire. Je croyais ma passion partagée, parce qu’il m’avait semblé deviner, à ses allures envers moi qu’elle m’aimait. C’est ainsi que, du vivant de ma femme, la Née Pauline Oudoire était venue boire le café chez moi et s’étant aperçue que j’aimais beaucoup le sucre, elle me dit en riant : « Si nous étions mariés, cela irait tout seul ; moi je prendrais le café sans sucre puisque je ne l’aime pas, et comme cela, vous auriez tout le sucre pour vous ».
C’est ainsi encore, qu’un jour, du vivant de ma femme, Pauline Oudoire qui venait de voir ma maison nouvellement construite, me dit : « Votre maison est bien jolie, j’y habiterais volontiers ».
Aussi dans les les 1ers jours de mars dernier, Pauline Oudoire, m’ayant dit que je ne devais plus venir chez elle et que je n’étais qu’un salop, j’en fus profondément froissé, pourtant je ne songeais point encore en ce moment à me venger de cet affront, mais à une quinzaine de jours de là environ, comme je me trouvais sur mes lieux d’aisance, Pauline Oudoire passa devant ma maison en compagnie de sa sœur Hélène et d’Henri Deman, et je lui entendis dire, elle qui avait toujours tout loué ma maison, « Est-ce que l’habitation de Louis Yden ne ressemble pas tout à fait à une grange abandonnée ? ».
Je vis dans ce propos, moi qui avais tant d’amour pour cette fille, un tel outrage, qu’immédiatement je résolus, pour m’en venger, et aussi dans l’espoir, en mettant cette fille dans une misère relative, je pourrais plus facilement obtenir sa main, de mettre le feu à la ferme.
Aussi le dimanche suivant après avoir passé ma soirée au cabaret de Louis Querleu, et y avoir joué aux cartes avec Henri Benault, le cabaretier Querleu et autres, je rentrai chez moi vers 10 heures 1/4, m’y munis de quelques allumettes et d’un couteau, puis me rendis jusqu’à la ferme Oudoire. Arrivé là, et grâce à la connaissance que j’y avais longtemps travaillé, je pénétrai dans la pâture par une petite barrière qui est proche de la pâture Willier, longeai la haie afin de pouvoir me soustraire plus facilement le cas échéant à des regards indiscrets et arrivai de cette façon jusqu’à la porte de la grange faisant face à la rue dite Lombardie. A l’aide de mon couteau je fis glisser le verrou qui la tenait intérieurement fermée, puis ayant levé le loquet j’y pénétrai. Arrivé là je montai une échelle qui était appliquée le long des tas de blé et mis le feu à l’aide de mes allumettes à la paille de cameline1 placée au dessus de l’aire de la grange. Si c’est là que j’ai mis de préférence le feu c’est parce que je craignais en le mettant dans le blé qui se trouvait fortement tassé de ne pas réussir.
Sitôt le feu mis à la paille de cameline je quittai la grange sans en fermer la porte, ouvris la barrière qui se trouvait toute proche et avais accès sur la rue des Moulins et m’enfuis à travers champ jusque chez moi.
J’étais à peine chez moi que je vis la flamme s’élever dans l’air et dans le but d’éviter que les soupçons ne se portent sur moi, je ne tardai pas à me rendre sur le théâtre de l’incendie.
Je crois même que je m’y suis rendu en compagnie du sieur Querleu. J’ai, à l’ordre des douaniers qui se trouvaient sur les lieux, transporté jusque dans l’intérieur de la maison quelques ustensiles aratoires2 qui menaçaient de prendre feu et si je n’ai pas continué davantage à coopérer au sauvetage c’est que j’ai été épouvanté du regard qu’a jeté sur moi la veuve Catherine Oudoire qui semblait me reprocher ma mauvaise action.
En ce qui concerne la tentative d’assassinat sur la personne de Pauline Oudoire, que vous me reprochez, je reconnais en être l’auteur. Dans les premiers jours de juin dernier, je suis allé chez la veuve Oudoire muni d’un panier de petits pois que je comptais lui donner en cadeau. J’y étais à peine qu’Auguste Degrendel le meunier y est entré. La veuve Oudoire nous a offert à chacun un verre de bière que nous avons accepté. Le meunier est parti. Me trouvant seul avec la veuve Oudoire et sa fille Pauline je dis à cette dernière : « M’en voulez-vous encore toujours ? » et elle me répondit, pendant que sa mère pleurait, « vous eussiez mieux fait de me tuer, que de nous faire le tort que vous nous avez fait ». je lui répondis : « Quel tort vous ai-je fait ? ». Elle n’ajouta rien mais s’en fut dans la salle voisine pendant que sa mère continuait à pleurer.
Je fus tellement impressionné du reproche qui venait de m’être fait par Pauline que je ne me sentis plus le courage de rien dire, et supposant bien qu’on me soupçonnait d’être l’auteur de l’incendie, que par suite toute union pour moi avec Pauline était impossible, je résolus de la tuer, sauf à me suicider après.
Ma première idée fut de profiter de la hauteur des récoltes pour m’y cacher sur son passage et la tuer d’un coup de couteau. A cet effet j’aiguisai un couteau que j’avais chez moi et qui se trouve encore dans le tiroir d’une table placée dans la salle commune de ma maison. Mais en y songeant bien, je craignais que la mort ne fut trop lente et qu’elle ne souffrit trop.
Alors passant à une autre idée je songeai à m’acheter un pistolet à deux coups, à l’aide duquel je puis arriver à la frapper de mort immédiate, en la tirant au cœur. A cet effet, je partis hier pour Dunkerque par le train de 8 heures du matin. Arrivé là je parcourus diverses rues de la ville et n’ayant rencontré nulle part un magasin d’armurier et n’osant non plus demander à personne où il s’en trouvait, je quittai cette ville par le train de 3 heures 15 minutes l’après-midi espérant réussir davantage à Lille.
J’arrivai à Hazebrouck vers 5 heures moins le quart, m’y munis d’un billet d’aller et retour pour Lille, mais au lieu de prendre le train qui y mène, je pris sans le vouloir celui d’Arras. M’étant en route aperçu de mon erreur, je descendis à la station de Steenbecque. le chef de gare m’autorisa, vu mon erreur, à profiter d’un train de marchandises. ce qui me permit d’être de retour à Hazebrouck vers 6 heures, et de partir pour Lille par le train de 8 heures.
Arrivé dans cette dernière ville, j’y cherchai, mais en vain, une boutique d’armurier, et m’en consolai en me disant que mon voisin Auguste Beun ayant un fusil à deux coups qui pourrait utilement remplacer le pistolet que je n’avais pas trouvé à acheter.
A minuit j’étais de retour à Hazebrouck. dans un cabaret proche de la gare j’ai bu une chope de bière avec Théophile Lobbedez, graisseur au chemin de fer. Il m’a proposé un petit voyage à Calais. J’ai accepté, mais je n’avais nullement l’intention de le mettre à exécution, car j’étais bien décidé à ce moment à tuer Pauline le lendemain, sauf à me tuer moi-même après.
Ce matin je me suis levé comme d’habitude vers 5 heures 1/2, j’ai fumé ma pipe, j’ai donné à manger à ma chèvre, puis vers 7 heures 1/2 suis allé trouver mon voisin Auguste Beun à qui j’ai demandé s’il pouvait me prêter son fusil à deux coups à l’effet de tuer un lièvre que sur sa demande je promis de manger avec lui. Il me prêta son fusil et je lui offris un verre d’eau de vie. Muni de cette arme je rentrai chez moi et la chargeai avec du gros plomb que j’avais acheté il y a un an environ dans le but de tuer lièvres et lapins qui pouvaient venir rôder autour de ma maison. Cela fait je rédigeai une note qui se trouve encore dans mon office et sur laquelle j’indiquai ce que je pouvais devoir et au notaire Bogaert pour argent prêté et au brasseur de La Bréarde et au curé de la paroisse pour trois messes que j’avais fait dire pour ma femme.
Vers 11 heures moins le quart après avoir mis mon fusil dans un sac afin d’éviter tout soupçon, j’allai à travers champs jusqu’à la maison de Lucie Devos sise près du cabaret Querleu. Je lui recommandai de donner à manger à ma chèvre à midi, ce soir et demain matin, puis cherchant à éviter la rencontre de douaniers qui auraient pu en s’emparant de l’arme renfermée dans mon sac m’empêcher de mettre à exécution le projet que je nourrissais, je me rendis jusqu’au champ de fèves de Louis Staes qui borde le sentier partant du cabaret du Treurniet et aboutissant à la chapelle de Notre Dame de Lourdes. J’y cachai mon arme enveloppée dans le sac, puis allai boire une chope de bière dans le but de me donner du cœur au cabaret du Né Théophile Huygghe proche de celui de Querleu.
Sitôt la messe finie je retournai à l’endroit où j’avais caché mon arme et attendis le passage de Pauline. Elle ne tarda pas à arriver en compagnie de Charles Willier. Quand elle fut près de moi je sortis de mon embuscade En me voyant armer les chiens elle s’écria : « Jésus Marie, s’il vous plait Louis » et recula vivement en courant. Comme sa robe flottait par suite de sa course rapide, je ne savais trop où la tirer quoique presque à bout portant pour la tuer raide. Aussi sous l’emprise de l’émotion où j’étais je la manquai de mon premier coup mais mon second coup tiré sur elle je puis dire à bout portant, car j’étais si près d’elle qu’elle a pu saisir le canon de l’arme, a été plus heureux je crois, car je dois l’avoir touchée sous le bras gauche et j’espère qu’elle l’est mortellement car j’avais chargé mon fusil assez fortement pour être sûr, si je l’atteignais, de pouvoir la tuer.
Mon intention en quittant ce matin ma maison pour aller m’embusquer le long du sentier que je vous ai dit était de tuer Pauline puis de recharger mon arme avec deux charges que j’avais emportées avec moi et de mettre fin à mes jours. Si je ne l’ai fait c’est parce que j’ai réfléchi qu’en me suicidant je perdrais mon corps et mon âme , tandis qu’en me livrant à la justice j’avais chance d’expier mes fautes par ma mort, mais aussi celle d’échapper à la justice divine par une bonne confession.
Vous venez de vous reconnaître coupable de deux crimes et m’avez dit que le mobile qui vous avait poussé était le désespoir que vous aviez de ne pouvoir épouser Pauline Oudoire.
Depuis trois ans vous nourrissiez pour elle une passion des plus vives. Pour obtenir la main de cette jeune fille qui était l’objet de vos passions, vous eussiez tout fait, vous n’eussiez reculé devant aucun crime.
Le juge fut alors pris d’un terrible pressentiment. Il reprit :
A ce que dit la rumeur publique, vous êtes allé, il y a deux ans environ chez Me Bogaert notaire à Hazebrouck, en compagnie de votre femme Caroline Catoen et par l’intermédiaire de cet officier ministériel, vous avez fait faire un testament aux termes duquel le dernier survivant héritait de toute la fortune du pré décédé.
En novembre dernier, votre femme est morte subitement.
Cette mort n’est pas l’œuvre de Dieu ! C’est votre main qui l’a frappée !
Louis Yden parut tout d’abord surpris et interloqué. Puis, après un moment de réflexion, il déclara :
Ce que vous me dites n’est que trop vrai. Je dois reconnaître en effet que c’est moi qui ai tué ma femme ! …
…/…
A suivre …
Fin du chapitre 2
A suivre ICI
Chapitre 3 : L’interrogatoire (suite)…
1 Cameline : plante qui fait partie de la famille des Brassicaceae comme la moutarde, le colza et autres choux. Sa paille servait aussi pour les toitures et comme combustible. Sa culture a aujourd’hui disparu.
2 Aratoire : adjectif qui concerne le labourage, le travail du sol
3 Louis Querleu : Cabaretier à Borre. J’ai eu l’occasion de faire la biographie complète de son fils Aimé (1856-1919) pour son arrière petit fils. C’est ICI