Borre 1876 – Chapitre 1 – Une tentative d’assassinat
Borre est une petite commune près d’Hazebrouck dans le département du Nord.
En 1876 sa population s’élevait à 757 habitants. Son maire était Pierre Soots.
Village de la Flandre française, on y parlait encore couramment le flamand.
Dimanche 6 août 1876 vers midi.
Pauline Oudoire, trente-deux ans, célibataire, revenait de la messe en compagnie de Charles Willier, vingt-quatre ans. Pauline vivait avec sa mère qui était veuve et exploitait une grande ferme à Borre.
Les faits racontés par Pauline Oudoire
Aujourd’hui revenant de la messe vers midi moins 1/4 avec le Né Willier Charles Louis, militaire en congé, et marchant tranquillement le long du sentier qui conduit de la place de la commune à notre ferme, marchant l’un derrière l’autre, moi la première, j’ai été tout à coup surprise de voir Yden sortir du champ de fêves de Staes Louis, armé d’un fusil abattu horizontalement dans les deux mains.
Il m’a dit « Canaille ! » et autres choses dont je ne me rappelle plus. J’ai empoigné le fusil par le bout et lui ait dit : « s’il vous plait Louis ne me tuez pas ! ». Il a tiré à lui le fusil et a répondu : « je vais le faire » et au même instant le coup partait devant mes jambes me brûlant tous mes vêtements. De frayeur je me suis mise à reculer dans le champ de trèfles à côté et presque à bout portant il me tirait le deuxième coup qui m’a atteinte au côté gauche un peu au dessus de la hanche. Je n’ai reçu de ce coup qu’une forte contusion grâce à mon corset dont les baleines resserrées en cet endroit m’ont garantie des plombs.
J’ignore pourquoi Yden a cherché à me tuer. Je n’ai jamais eu de relations avec lui. Willier qui m’accompagnait m’a conduite à la ferme et s’est empressé de se rendre à Hazebrouck pour y chercher le Docteur Prevost.
Source : AD du Nord – 2 U 1 – 483 – Extrait du PV de gendarmerie
Les faits racontés par Charles Willier
Je revenais de la grand messe de Borre en compagnie de Pauline Oudoire et la suivais à quelques pas dans le sentier qui quitte le chemin d’Hazebrouck à Borre près du cabaret de Théophile Huyghe et se dirige du côté de la chapelle de Lourdes, lorsque arrivée à hauteur d’un champ de fèves appartenant à Louis Staes et bordé du côté du sentier par une haie d’aulnes, Louis Yden en sortit brusquement en armant un fusil double et en en dirigeant le canon vers elle. Pauline s’écria en le voyant : « Louis, s’il vous plait, ne tirez pas sur moi ! ». Je n’ai pas entendu qu’Yden lui ait répondu et instantanément un coup de fusil est parti qui a traversé les jupes de Pauline sans les enflammer à hauteur des cuisses. Elle s’est rejetée d’un pas ou deux dans le champ de trèfles qui faisait face à l’endroit où était embusqué le sieur Yden, puis tournant le dos à la chapelle de Lourdes s’est mise à fuir en remontant le sentier dans la direction de Borre.
Yden la suivit dans les divers mouvements et lorsqu’il lui tira le second coup de fusil qui l’atteignit au côté gauche, à hauteur du coeur et mit le feu à ses vêtements, il se trouvait à sa gauche et le canon de larme n’était point à plus de dix ou vingt centimètres de la partie du corps où Pauline a été atteinte.
Les deux coups de feu ont été tirés en moins de trois à quatre secondes. Aussitôt qu’Yden eût tiré son second coup de feu, il est parti sans prononcer une parole à travers champ dans la direction du chemin qui forme la prolongation du chemin dit : du Treurniet.
Comme le feu était aux vêtements de Pauline, j’ai commencé par l’éteindre puis l’ai mené jusque chez elle.
Lorsque Yden est sorti brusquement de son embuscade, il avait la figure enflammée, ses yeux étaient injectés, je ne saurais mieux le comparer tel qu’il était alors qu’à ce que nous appelons vulgairement un homme sauvage.
Source : AD du Nord – 2 U 1 – 483 – Extrait du PV de gendarmerie
Gendarmerie d’Hazebrouck une heure plus tard
Un certain Louis Yden s’y présenta et fit la déclaration suivante :
« Vers midi moins 1/4, j’ai tiré deux coups de fusil à bout portant sur la Née Oudoire Pauline qui revenait de la messe de Borre. Je crois qu’elle doit être sérieusement blessée. J’ai fait ceci parce qu’elle ne m’a pas voulu pour mari. C’est aussi moi qui ai mis le feu à la ferme de sa mère le 2 avril dernier pour le même motif.
Le fusil avec lequel j’ai voulu tuer Pauline Oudoire, je l’ai emprunté ce matin au Né Beun, cabaretier voisin en lui disant que c’était pour tirer un lièvre dans mon jardin. Il me l’a donné sans observations et une fois chez moi j’ai chargé le fusil à plomb et suis allé m’embusquer dans un champ de fèves de Staes Louis, à proximité de la chapelle située le long d’un sentier qui conduit de la ferme Oudoire à la place de Borre. Je m’étais assis caché derrière une clôture, attendant ma victime.
Je l’aperçus accompagnée d’un jeune homme, je me suis débusqué et lui ai tiré mes 2 coups de feu en lui disant : « Vois vilaine canaille ! tu es la cause de mon malheur et du tien ! » et j’ai pris la fuite.
Je suis entré dans un champ de blé pour y charger mon fusil et me tuer moi même, mais ayant eu un remord de conscience j’ai changé d’idée en jugeant à propos de me confesser. Voyant passer deux gamins dans une drève à proximité du champ où je me trouvais je leur ai remis mon fusil pour le porter au cabaretier Beun. Ce qu’ils ont fait, et moi, qui suis maudit de Dieu je n’avais rien autre à faire qu’à me rendre à la Justice«
Source : AD du Nord – 2 U 1 – 483 – Extrait du PV de gendarmerie
Pendant ce temps à la ferme Oudoire…
Le Docteur Prevost procurait des soins à Pauline, blessée.
Je soussigné, docteur en médecine, résidant à Hazebrouck, certifie que le dimanche 6 août à midi quinze minutes, je me suis transporté à Borre dans la ferme occupée par Madame veuve Oudoire cultivatrice, à l’effet de constater les blessures que sa fille avait reçues à la suite d’un coup de feu, et j’ai ordonné ce qui suit :
Melle Oudoire Pauline, âgée de 31 ans, était dans sa chambre à coucher dans un état de frayeur et de saisissement extraordinaire, dans un désordre effrayant, ses vêtements en lambeaux et exhalant une forte odeur de brûlure. Elle me raconta, qu’en revenant de la commune après l’office, elle avait été surprise par un individu couché dans les champs et qui lui envoya deux coups de feu à bout portant.
Après l’avoir examiné, j’ai reconnu qu’elle présentait du côté gauche, au niveau de la neuvième côte, deux plaies dont l’une, saignante irrégulière et non pénétrante, et entourée de quelques légères traces d’ecchymoses; l’autre est circulaire, noire et semblable à une brûlure au 4ème degré. Cette dernière est également superficielle et de la grandeur d’une pièce de deux francs ; en outre elle présentait tout autour et sur une étendue de cinq à six centimètres, des phlyctènes* remplies de sérosité.
Il n’existait aucune autre trace de violence sur le reste du corps. je n’ai trouvé dans les vêtements aucune trace de balle ou de grains de plomb.
Il résulte de cet examen 1° que les plaies sont récentes (environ une heure après l’accident) 2° elles sont le résultat d’un coup de feu tiré à bout portant dont la balle ou les grains de plomb n’ont pas pénétré mais effleuré la neuvième côte et dont la bourre s’est perdue dans les vêtements, et les a enflammés 3° enfin les blessures sont légères et seront cicatrisées au bout de quelques jours.
Toutefois l’impression morale produite sur la jeune fille a été profonde, et pourra peut-être dans la suite compromettre sa santé.
En foi de quoi j’ai délivré le présent certificat pour servir que de besoin.
Hazebrouck le 6 août 1876
* Phlyctène : Bulle sur la peau, remplie de sérosité transparente
A la gendarmerie …
Aussitôt informé, le Procureur de la République ordonna aux gendarmes de conduire Louis Yden à la maison d’arrêt pour y être emprisonné. Pour cela, un mandat de dépôt fut émis par le Juge d’Instruction Jules Demazière.
Les gendarmes saisirent sur Louis Yden :
- une boîte de capsules
- une boîte-cornet contenant du plomb
- un cornet contenant de la poudre
- une clef
- et une longue lettre écrite en flamand
Le Procès verbal de gendarmerie
Tout l’après-midi, les gendarmes Séguin et Dupuich prirent les dépositions de Pauline, de Charles Willer, d’Auguste Beun qui avait prêté son fusil au meurtrier, ainsi que celle du gamin qui le lui avait rapporté. L’arme et les vêtements de Pauline furent saisis comme pièces à conviction.
Ils inspectèrent les lieux de la tentative d’assassinat, et consignèrent leurs observations dans leur procès-verbal.
Les deux gendarmes terminèrent la rédaction par le signalement de Louis Yden
A la fin de cette journée du 6 août, ayant pris connaissance de ces premiers éléments, le juge Jules Demazière s’apprêtait à interroger Louis Yden…
Quelle histoire passionnante, comme d’habitude on a hâte de connaître la suite et de savoir ce qu’avait dans la tête ce Mr Yden et la peine dont il va écoper.
Merci Magali ! La suite dans quelques jours …